Chloé
label :
Kill the Dj - Lumière Noiredernières dates au Sucre :
Dans la carrière de Chloé Thévenin, il y a l’ombre et la lumière.
La nuit et le jour. La nuit appartient à Chloé. Son histoire est désormais connue : elle est celle d’une dj, pionnière à plusieurs titres. À ses débuts, à la toute fin des années 90, trop peu de filles avaient encore pris possession des platines, bien qu’aucune règle, nulle part, écrite ou orale, n’obligeait le DJing à être un métier masculin : il ne l’était pas.
Cela, Chloé fut une des premières de sa génération à nous faire le faire entendre. Et ce n’est pas un hasard si sa trajectoire accompagnait celle d’un club, le Pulp, pour qui danser, se réunir était aussi affaire de politique et de militance, notamment autour des questions liées aux minorités, quelle qu’elles soient.
De Paris (au Pulp, mais aussi au Rex où elle a sa résidence) et de là partout dans le monde, dans les clubs les plus importants, Chloé s’est employée à déjouer les attentes et toujours surprendre : chaque set racontant une histoire qui tient autant du plaisir extatique que de la mélancolie douce des petits matins de retour de rave.
Chloé sortira alors ses deux premiers albums : The Waiting Room en 2007, et One in Other en 2010 (parus sur feu le label Kill The DJ) sous le nom de Chloé. Ce ne sont pas exactement des disques pour être joués en clubs, par des dj mais davantage des autoportraits électroniques. Chloé les présentait alors comme des « pas-de-côté ».
Cela deviendra bientôt une habitude chez elle : tout chez Chloé est affaire de déplacement, d’angles inattendus pour regarder le dancefloor, puis l’auditoire, puis les spectateurs, puis la société et nos vies, sous un angle plus neuf, plus ouvert.
En 2017, Chloé a créé son propre label, Lumière Noire, on y retrouve dès le patronyme le bel esprit de contradiction qui refuse de choisir entre la techno, l’électronique dark et synthétique, la folk low-fi et ses instants de vérité et une musique qui enclenche des images tout autant qu’elle les accompagne.
En quatre ans, Une trentaine de sorties (Sutja Gutierrez, Il est vilaine, Destiino, Inigo Vontier, Théo Muller…) et deux compilations (From Above, Volume 1 & 2, où les paysages synthétiques de Jonathan Fitoussi ou de Marc Melià y croisent les mondes nocturnes et hyper sexy de Rebeka Warrior et de Benedikt Frey, tout en continuant un travail de défrichage à l’intérieur de la scène électronique) prouvent combien Lumière Noire avance en toute liberté.
Cette liberté est évidemment au centre de Endless Revisions, le troisième album de Chloé sorti en 2017 (son titre dit sûrement beaucoup de cette perfectionniste qui, mille fois, revoit sa copie, peaufine le détail), où elle collaborait autant avec le new-yorkais Rhys Chatham, Ben Shemie du groupe Suuns ou le légendaire et intemporel Alain Chamfort. En 2019, Chloé sortait Endless Revisions Live, et ce n’était pas par fétichisme, ou dans le seul esprit de garder trace d’une tournée inaugurée à la Gaîté Lyrique en janvier 2018, et passée par un grand nombre de dates, et par de nombreux festivals : Les concerts, le défi qu’ils représentent toujours pour une musicienne électronique, ont progressivement transformé chaque morceaux, leur ont donné plus de chair et d’intensité, si bien que Chloé définit elle-même aujourd’hui le live comme une façon de faire entrer le club dans le studio, de faire le pont entre ses deux lieux où continue de s’épanouir sa musique. La DJ et la musicienne se retrouvent enfin dans ce vis-à-vis avec le public, avec la mission jamais impossible de les faire entrer dans son univers.
Après dix ans à contester les catégories, Choé s’est sentie de plus en plus libre de travailler sur des textures sonores, des climats, des morceaux de narrations, des embryons d’histoires qui prolongeront suivant la commande ou les rencontres une bande son de films : en 2017, Chloé a signé la BO de Paris La Blanche de Lidia Leber Terki, en travaillant avec des musiciens kabyles. Mais déjà en décembre 2012, La Cinémathèque française lui a passé commande d’une bande son, jouée live, pour accompagner la restauration d’un des premiers films muets anglais d’Alfred Hitchcock : Blackmail (1929).
Bientôt, nous découvrirons celle de Arthur Rambo, huitième film de Laurent Cantet (palme d’or à Cannes en 2008 pour Entre les murs). Mais le spectre, depuis n’a cessé de s’élargir : Pour le festival Montpellier danse 2021, Chloé proposait une création qui accompagnait Counting stars with you (musiques femmes), la nouvelle chorégraphie de Maud Le Pladec. Elle avait déjà collaboré avec cette dernière en 2020, sur le projet Static Shot.
On la retrouve également au centre d’une expérience immersive : le projet Slo Mo, avec les visuels de Dune Lunel Studio, qui se tient aux confins de l’hypnose : ce live ambiant qui a été joué au TAP de Poitiers, au Lieu Unique à Nantes pendant le festival Assis/Debout/Couché (en version couchée), lors de l’événement Grand Paris à Saint Denis avec Le 104, au festival Sónar à Barcelone et au Southbank Center à Londres.
Ces expériences ont aussi nourri le duo que Chloé forme avec la musicienne de marimba : Vassilena Serafimova. Un album, Sequenza, sortira en octobre sur Lumière Noire. Il fait suite à un certain nombre de concerts donnés dans des Scènes Nationales, des festivals de musique alternatives des théâtres. Autant d’endroits qui ne sont pas, à-priori, les lieux naturels de la musique de Chloé, mais qui incarnent aujourd’hui de façon active son esprit d’ouverture et sa volonté d’être toujours plus accessible, de faire pont avec d’autres cultures que celle du clubbing.
La musique de Chloé peut enfin se lover dans les contraintes d’un habillage radiophonique. Chloé a été mandatée par France culture pour produire l’habillage de la station à partir de la rentrée 2021. Des mondes d’une durée de quelques secondes à peine, mais qui valent comme autant d’invitations à l’écoute.
par Philippe Azoury